Camions au gaz plus polluants que le diesel : réalité ou fake news ?

Camions au gaz plus polluants que le diesel : réalité ou fake news ?
Présentant les poids-lourds au gaz comme 5 fois plus polluants que leurs homologues diesel, l’ONG européenne Transport & Environment (T&E) appelle les instances européennes à cesser les subventions pour les camions GNV. Un constat orienté qui ne tient compte que d’une partie de la réalité.

De l’espagnol, du français, de l’allemand et bien sûr de l’anglais. Si elle a pour habitude de diffuser ses communiqués dans la langue de Shakespeare, l’ONG Transport & Environment a pris grand soin de traduire sa dernière campagne de communication pointant du doigt les émissions des camions GNL dans plusieurs langues. Une façon de s’assurer que le message soit bien reçu sur les différents marchés clés pour le secteur.

Annonçant des camions GNL six fois plus émetteurs en oxydes d'azote (NOx) que le diesel, la note de presse envoyée par les équipes de T&E a fait l’effet d’une véritable bombe dans le milieu du transport de marchandises. Le remède serait-il finalement pire que le mal ? C’est ce que semble dire le rapport de l’ONG dont les conclusions se basent sur les résultats d’une étude technique complète réalisée par l’organisme de recherche néerlandais TNO.

Emissions de NOX : un constat orienté

Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons fait appel à Richard Lecoupeau. Ancien du CRMT désormais consultant, il a durant de nombreuses années comparé et étudié les émissions des bus et camions fonctionnant gaz et diesel, notamment dans le cadre du projet Rhônalpin Equilibre.

D’entrée de jeu, il ne désavoue pas les chiffres communiqués par l’ONG. « Contrairement à une autre étude sur le GNV présentée par T&E il y a trois ans où les résultats étaient très discutables, la base technique de ce nouveau rapport est solide » précise-t-il. Il est en revanche incomplet puisque les résultats mis en avant par l’ONG ne se concentrent que sur l’utilisation en urbain. Pas vraiment le terrain de jeu principal des tracteurs GNL, davantage conçus pour la longue distance et les trajets autoroutiers. « Les poids lourds au gaz cités sont conçus et optimisés pour des trajets de longue distance sur autoroute, alors que T&E pointe du doigt les résultats de ces véhicules en ville » s’étonne l’association française du GNV (AFGNV) dans un communiqué.

« Sur le cycle combiné, T&E donne des chiffres en comparant les émissions des véhicules gaz avec le meilleur des véhicules diesel. Cela ne présente aucun intérêt technique hormis celui d’orienter le discours » constate Richard Lecoupeau. « S’ils avaient utilisé le graphique de la partie Motorway (autoroute) au lieu de celui Urban (urbain) les résultats auraient été très sensiblement différents. De plus les résultats de la partie Urban sur lequel les véhicules démarrent à froid sont étonnants et doivent faire l’objet d’une analyse technique approfondie du rapport TNO. Je n’ai jamais vu aucun véhicule diesel être meilleur qu’un véhicule gaz en émissions de Nox sur un parcours avec démarrage à froid » poursuit-il. Sur autoroute, les mesures réalisées par TNO révèlent ainsi des émissions de Nox jusqu’à deux fois inférieures par rapport au diesel.

A l’échelle européenne, TNO n’est pas le seul organisme à s’être intéressé aux émissions des camions fonctionnant au gaz naturel. Initiative des transporteurs français, le projet rhônalpin Equilibre a rendu ses conclusions en mai dernier après avoir testé et comparé des véhicules gaz et diesel sur plus d’un million de kilomètres en usage réel. Les résultats ont ainsi mis en évidence un gain de NOx de 43 à 66 % avec les véhicules GNV par rapport au Diesel. Comme pour l’étude TNO, le rapport Equilibre montre que le différentiel sur les Nox est moins marqué en zone urbaine. A l’inverse, la baisse est significative sur routes nationales et autoroutes.


Autre point mis en avant par les deux rapports : le niveau d’émissions extrêmement variable d’un modèle à l’autre. En matière de Nox, le camion Scania mis en avant dans le rapport TNO apparait comme le plus performant parmi les trois véhicules gaz testés. Un constat que fait également Equilibre, sans pour autant préciser les marques les plus performantes.

Particules

Sur le sujet des particules, T&E met également en avant le fait que les véhicules GNL produisent des niveaux d’émissions de particules comparables aux camions diesel. Les mesures réalisées n’ont toutefois pas été réalisées de la même façon entre les deux technologies. « Il faut être plus prudent dans l'interprétation des résultats, car les véhicules diesel ont été testés en laboratoire, tandis que pour les camions au gaz, le nombre de particules a été mesuré sur la route » précise le rapport de TNO. Une information que T&E précise également en bas de son communiqué et qui a toute son importante. Entre les tests réalisés en laboratoire et ceux menés en conditions réelles d’utilisation, les résultats peuvent extrêmement varier.

A cela s’ajoute le fait que les camions au gaz atteignent ces résultats sans filtre à particules. « Contrairement au diesel, un moteur gaz n’a aucun système de dépollution pour les particules. En ajouter un pourrait le rendre encore plus propre qu’il ne l’est déjà aujourd’hui. Ce type de technologie existe déjà. Certaines voitures essences à injection directe en sont équipées » souligne Richard Lecoupeau.

CO2 : le potentiel du biométhane écarté

Charge bidirectionnelle, développement des énergies renouvelables, production plus propre des batteries… Si elle ne manque pas d’évoquer les perspectives et les enjeux dans ses nombreuses études dédiées au véhicule électrique, T&E n’a pas réalisé le même exercice dans son rapport sur le GNL. Concédant au GNL une réduction de 3 à 14 % de CO2 par rapport au diesel dans une approche du « réservoir à la roue », l’ONG a totalement éclipsé le potentiel du biométhane, préférant pointer du doigt l’origine fossile du carburant. Pourtant, les perspectives du biogaz dans une logique ACV (du puits à la roue) ont été démontrées dans de nombreuses études.

Dans un récent rapport, l’IFPEN annonce ainsi une réduction allant jusqu’à 80 % en cas d’utilisation du bioGNV tout en soulignant le potentiel de l’hybridation des poids-lourds au gaz. En France, un camion sur six roule déjà au bioGNV selon l’AFGNV.

Reste toutefois à ne pas prendre de retard sur le développement de la filière biogaz et en particulier celle du bioGNL qui manque aujourd’hui de cadre réglementaire dans l’Hexagone. Sur ce point, une étude publiée en mars 2019 par Primagaz, InVivo et Cryo Pur a donné une première évaluation du potentiel de développement de la filière, estimant que la distribution de GNL aux stations GNLC pourraient représenter une consommation située entre 13 et 20 TWh en 2030. Au même horizon, la demande en bio-GNL carburant pourrait représenter entre 5 à 8 TWh estiment les auteurs du rapport.

Que retenir du rapport T&E ?

Si le sérieux du travail et des mesures réalisés par TNO dans son rapport technique ne sont pas discutables, l’analyse et la présentation des résultats réalisées par T&E interpellent et rappellent un fait important : en partant d’une étude technique objective, il est possible de travestir la réalité sans pour autant mentir.

Pour ou contre une technologie, il suffit aux as de la communication de choisir les bons graphiques ou les bonnes parties d’un rapport pour présenter leur vérité. Devenu malheureusement de plus en plus courant, cet art de la « fake news » doit inciter les décideurs à la plus grande prudence…  

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Michaël TORREGROSSA Michaël TORREGROSSA
Rédacteur en chef
Persuadé que la mobilité du future sera multi-énergies, Michaël est le rédacteur en chef et fondateur de Gaz Mobilité.

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3 Commentaires

  1. camomillePublié le 23/09/2019 à 10:47

    Bravo et merci pour la clarté de ces explications !

  2. MrjPublié le 25/09/2019 à 10:35

    L’ONG "energy watch group" a également affirmé récemment que le cng était une catastrophe pour le climat. J’espère que nous aurons droit a un article aussi détaillé que celui-ci. Bravo pour votre travail !

  3. Christian MPublié le 30/09/2019 à 10:19

    Merci pour ce travail effectivement, MAIS ATTENTION à ce que vous écrivez : parfois GNV, parfois GNL. Ce ne sont pas les mêmes produits et ils n’ont pas les mêmes effets ! Soyez clairs et ne mélangez pas SVP...
    Dès le début de votre article : "appelle les instances européennes à cesser les subventions pour les camions GNV" puis en-dessous "pointant du doigt les émissions des camions GNL". Confusion directe et les non initiés mélagent tout ensuite à tort et à travers... Surtout dans un titre accrocheur qui fait un racourci trompeur

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