Interview : Les bus bioGNV de la RATP à l'approche de l'échéance européenne de 2030

Interview : Les bus bioGNV de la RATP à l'approche de l'échéance européenne de 2030
Source : RATP
En plus de la poussée de la Commission européenne vers des autobus électriques pour 2030 se précise la fin du contrat d’exploitation en 2024 avec Ile-de-France Mobilités. Une situation complexe à gérer pour la RATP embarquée dans le plan bus 2025 pour une conversion au bioGNV et à l’électrique. Discussion avec Thierry Blévinal, directeur de projets GNV pour ce programme décennal.
 
Le plan Bus 2025 prévoyait dès le départ une diminution de l’ordre de 50 % du bilan carbone : « Il a été lancé en 2014 par Pierre Mongin, alors président de la RATP, pour la transition énergétique des autobus opérés en Ile-de-France par l’entreprise. Fin 2026, il n’y aura plus de bus diesel simple et la transition suivra son cours » résume Thierry Blévinal, directeur de projets GNV.
 
Le parc ne sera pas encore exclusivement composé que de modèles électriques et bioGNV : « Il restera encore des bus hybrides. Le dernier a été acheté en 2019. Les autobus ont une durée de vie de 10 à 15 ans. Les derniers hybrides pourraient donc être encore exploités jusqu’en 2034 ».
 
En raison d’une fin de contrat programmée l’année prochaine, l’exploitation du réseau va être remis en concurrence : « C’est un facteur important qui influe sur le programme. A cette échéance, 1 000 bus électriques et 1 400 au BioGNV auront été mis en service, sur les 4 800 que compte la flotte. Au-delà de cette date, le rythme de renouvellement dépendra du souhait d’IdFM. A terme, le parc devrait être partagé à parts égales entre les deux énergies ».
 

Conversion des centres

Pour le compte d’Ile-de-France Mobilités (IdFM), la RATP gère 25 centres de bus dont l’adaptation progressive aux nouvelles énergies est déjà globalement très avancée : « Treize sont réaménagés pour les électriques et douze pour le bioGNV. Ces derniers sont situés à Créteil, Bussy, Massy, Nanterre, Thiais, Aubervilliers, Pavillons, Flandre, Ivry, Saint-Denis, Saint-Maur et Fontenay. S’y ajoute le tout dernier centre de Villiers-le-Bel » liste Thierry Blévinal. Des sites ont déjà été entièrement convertis : « C’est le cas de Créteil, Bussy et Massy par exemple. Pour d’autres, le 100 % bus au bioGNV ne sera pas pour tout de suite. Celui de Nanterre reçoit des véhicules qui passent sous la dalle de la Défense, interdisant pour l’instant une alimentation au gaz ».
 
A Pavillon, c’est pour une autre raison : « Le plan local d’urbanisme interdit à ce jour les installations classées ICPE à autorisation. Le site entrerait dans ce cadre avec une conversion totale de la flotte. Une modification du PLU est en cours. Pour ce centre, la transformation s’effectue donc en deux phases, mais les installations sont déjà dimensionnées pour un parc entièrement alimenté au bioGNV ».
 
Les 12+1 sites délivrent du bioGNV à 100 % : « Nous avons pris cet engagement qui soutient le développement de la filière du biogaz. Le bioGNV consommé par nos bus est garanti par des certificats d’origine ».
 
Convertir un centre de bus pour le GNV n’est pas une nouveauté à la RATP : « Nous avons une expérience de plus de 20 ans. C’est à Créteil que nous avons commencé, avec une transformation partielle. Nous avions accepté une offre clé en main de GNVert qui a monté sur place son installation et fournissait son gaz » rappelle le responsable de la RATP. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : « D’un commun accord avec IdFM, nous avons changé de stratégie, déjà au niveau des nombres de bus à convertir et du rythme à impulser à l’opération. Nous construisons et exploitons les installations dans les centres de bus. Après une phase d’étude, nous lançons les appels d’offres afin de sélectionner les entreprises qui réaliseront les travaux. Actuellement, tous nos sites bioGNV sont soit livrés, soit en travaux ».
 
Ils ne sont pas tous équipés de la même façon pour l’avitaillement en bioGNV : « La répartition entre charge lente dans la nuit et rapide en 3-4 minutes dépend des besoins. Chacune peut être mise en place de façon exclusive suivant le plan d’exploitation de la flotte ».
 

Un personnel et des usagers satisfaits

En 20 ans, le rituel d’avitaillement a aussi évolué : « Avec GNVert, il y avait un pompiste pour effectuer le plein en gaz des bus. Aujourd’hui, ce sont les machinistes qui s’en occupent. Ce qui est compté en temps de travail. Dans le cas d’une recharge lente, ils branchent le tuyau et s’en vont. Le lendemain, ils débranchent avant de partir ».
 
Et dans le cas d’un avitaillement rapide ? « L’opération ne prend que quelques minutes. Le machiniste lance le remplissage sans avoir à appuyer en permanence sur un bouton. Nous avons des systèmes de sécurité qui détectent quand le plein est fait ou qu’il y a un problème comme une baisse de pression ».
 
Comment le personnel roulant perçoit-il l’arrivée des nouveaux bus ? « Que ce soient des électriques ou des bioGNV, le premier effet spectaculaire est de recevoir un bus neuf doté de technologies nouvelles, de la climatisation et d’une plus grande souplesse de conduite. Avec un modèle fonctionnant au gaz, le bruit du moteur est divisé par deux. De leur côté, les voyageurs font remonter un meilleur confort à tous les niveaux. Tout le monde se sent concerné par les objectifs de moindre pollution ».
 
Les machinistes vont-ils préférer l’électrique ou le bioGNV ? « Ils sont surtout chacun attachés à un centre par choix de vie, par exemple celui le plus proche du domicile. Un machiniste n’aura donc accès qu’à l’une des deux technologies, sauf à changer de centre, ce qui n’est pas fréquent ».

 

Echéance européenne 2030 : une décision lourde de conséquences 

En se basant seulement sur ce qui sort à l’échappement et en oubliant ce qui se passe avant le plein en énergie, l’Europe veut des bus urbains zéro émission dès 2030. Un parti pris qui élimine l’alimentation au bioGNV et favorise les architectures électriques à batterie et à pile hydrogène. Ce qui vient contrarier le plan Bus 2025 en Ile-de-France.
 
« Avec cette nouvelle, l’Europe a pris beaucoup de monde par surprise. Personne ne sait vraiment l’appréhender pour l’instant. C’est une difficulté que nous partageons avec beaucoup de transporteurs qui ont aussi commencé à convertir leurs flottes. L’utilisation du bioGNV s’est beaucoup démocratisée, avec une technologie ancienne et robuste. Une décision définitive de la Commission dans ce sens bouleverserait l’économie de la filière du biogaz ».
 
Tous les bras ne se baissent pas pour autant : « Dans les coulisses de l’Europe, notamment en provenance de France et d’Italie, il y a beaucoup de discussions pour assouplir la réglementation. Nous avons un représentant à la RATP qui suit les affaires européennes ».


 
Les objectifs annoncés par l’Europe concernant les émissions des autobus risquent d’être lourds de conséquences : « A comparer à la Chine et à l’Inde, une flotte de 4 800 bus ce n’est peut-être pas grand chose, mais au niveau de notre continent la conversion rapide et couronnée de succès que nous menons est la plus massive. C’est le résultat de gros investissements réunis dans la perspective de durer, non seulement pour les véhicules, mais aussi concernant les installations de recharge. C’est perturbant de savoir que l’Europe risque de donner un coup d’arrêt à notre plan et à ceux d’autres compagnies de transport ».
 
Thierry Blévinal estime que la situation est complexe : « Energie, politique, géopolitique, confrontation des industries, cabinets divers, lobbyisme : la réglementation européenne est pétrie avec tout ça, d’avis croisés et d’intérêts différents d’un pays à un autre. On ne peut présager de rien. Ma conviction est que le situation est plus complexe qu’elle n’y paraît, avec un rapport de force qui peut faire disparaître une filière ».
 

"En raisonnant en cycle de vie, la filière du bioGNV est tout à fait compétitive"

Ce qui se passe au niveau du bioGNV est peu habituel : « C’est rare qu’une filière soit bousculée de cette façon, surtout par une réglementation. Avec celle sur les plastiques, ça fait longtemps qu’on ne devrait plus avoir de sacs en cette matière, mais c’est difficile de s’en passer. Si les exigences européennes pour les bus se confirmaient, on traverserait un trou d’air. Il faudra une période de transition ».
 
Comptabiliser le CO2 à l’échappement ne convainc par Thierry Blévinal : « C’est biaisé. On oublie l’impact des batteries, les 10 kg de matériaux critiques, la part de gaz carbonique lâchée au niveau des mines d’extraction. Il faudrait en tenir compte. En raisonnant en cycle de vie, la filière du bioGNV est tout à fait compétitive ».
 
Le directeur de projets GNV pour la RATP pense à la situation d’Ile-de-France Mobilités : « IdFM compte d’autres centres de bus qui ne dépendent pas de nous. La situation est très compliquée pour cette structure qui va devoir faire face à un afflux de voyageurs du fait de la mise en place des ZFE. Tout cela peut évoluer très rapidement et mettre dans d’importantes difficultés un grand nombre d’acteurs ».
 
Gaz Mobilité et moi-même remercions vivement Thierry Blévinal pour sa disponibilité, ses propos très intéressants, et sa confiance.



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Philippe SCHWOERER Philippe SCHWOERER
Journaliste
Très tôt sensibilisé aux économies d'énergie, Philippe défend une mobilité durable plurielle à travers ses articles publiés dans plusieurs médias en ligne.

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