Etude : quelle place pour le train bioGNV en France ?

Etude : quelle place pour le train bioGNV en France ?
Il pourra sembler étonnant d’évoquer le bioGNV pour décarboner l’un des modes de transport les moins émissifs dans notre pays. Mais il reste encore en circulation 3 000 trains de voyageurs et de marchandises thermiques ou bi-modes sur les lignes et tronçons non électrifiés. Dans les territoires très engagés concernant la méthanisation, le bioGNV est une solution à étudier. En collaboration avec GRDF, l’Ademe vient de publier un rapport de 168 pages sur le sujet.
 
Atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 impose de ne laisser aucune piste valable sur une voie de garage. Avec 60 % de son réseau électrifié, on peut considérer le transport ferroviaire comme pionnier en transition énergétique. L’étude publiée en décembre 2023 a été menée conjointement par le service des transports et de la mobilité de l’Ademe et la direction de la stratégie de GRDF. Elle ouvre des perspectives à l’utilisation du bioGNV pour l’alimentation des trains en France métropolitaine.

L’exploitation de cette énergie comme alternative au gazole est-elle pertinente pour le transport ferroviaire ? Où ? Sous quelles formes ? Pour quels usages ? Dans quels matériels roulants ? Les conclusions des rédacteurs s’adressent en particulier aux décideurs politiques, aux collectivités territoriales, aux opérateurs et aux acteurs du transport au sens large pour leur donner des éléments essentiels avant, par exemple, de prendre des décisions engageantes.
 

Le bioGNV encore au stade expérimental

Le réseau ferré national français est constitué de 27 700 km de ligne. En 2018, encore le quart du matériel ferroviaire moteur fonctionnait avec un bloc diesel, soit 20 % du trafic environ. Le transport régional de voyageurs est encore réalisé à 18 % par des motrices thermiques et 25 % avec des modèles bi-modes thermiques-électriques. Le tout pèse 63 % des émissions de gaz à effet de serre des activités ferroviaires voyageurs. Pour des raisons de coûts, il n’est pas envisagé de câbler les lignes qui ne le sont pas à ce jour. Avec seulement 10 % de tronçons non électrifiés, l’Ile-de-France est peu concerné par le problème. La Normandie et la Nouvelle-Aquitaine sont en revanche lanternes rouges avec un taux respectif de 54 et 55 %.

Chaque région développe sa propre feuille de route pour décarboner sur son territoire le transport ferroviaire. Plusieurs solutions sont envisagées pour rendre le matériel roulant plus vertueux : électrique à batterie, hydrogène, B100, HVO, bioGNV, etc. Le biogaz en est encore au stade expérimental dans l’Hexagone. Concernant le fret, il existe une stratégie nationale sous la direction du ministère des transports. Elle inclut le gaz naturel comme carburant alternatif.
 

3 000 engins à décarboner en France

Les 3 000 engins thermiques à décarboner se répartissent en une cinquantaine de modèles dont la durée de vie est de l’ordre de 40 ans, avec une importante opération de rénovation à mi-vie, propice au rétrofit. Livré par différents constructeurs dont Alstom, Bombardier, Vossloh, Stadier, Fauvet Girel, Moyse, etc., ce matériel est exploité pour trois usages principaux :
  • trains régionaux de voyageurs (1 114 engins ; 36 % du parc à décarboner),
  • locotracteurs de manœuvres et de chantiers (607 engins ; 20 %),
  • fret (environ 1 300 ; 44 %).
  Nombre (2021) Part
Trains régionaux de voyageurs 1 114 36 %
Locomotives de fret longue distance 1 335 44 %
Locotracteurs de manœuvre et de chantier 607 20 %


La Nouvelle-Aquitaine : une région pionnière en France

Une quinzaine de pays s’intéressent également au GNV pour le transport ferroviaire. Le plus souvent avec moins de 5 locomotives en service ou en projet, comme c’est le cas en Norvège, Suède, Estonie, Lettonie, Pologne, Pérou, Italie, Espagne, etc. En revanche, l’Argentine projette d’exploiter 400 locomotives GNV (transport de voyageurs), les Etats-Unis en utilisent 40 (fret et voyageurs, depuis 2012), l’Inde 50 (voyageurs, depuis 2014) et la Russie 27 (fret et voyageurs, depuis 2015) avec 24 de plus en projet. Toutes ces initiatives sont détaillées dans l’étude Ademe/GRDF.

 
En France, il n’y a pas encore de trains fonctionnant au bioGNV en exploitation commerciale. Mais il y a déjà des projets. Ainsi en Nouvelle-Aquitaine où ce carburant alternatif est préféré au B100 considéré comme moins satisfaisant au niveau environnemental. Il est question d’un centre de rétrofit GNV au Ferrocampus de Saintes (17) et d’adapter le centre de maintenance de Limoges (87). Ce sont les autorails ATER X 73500 qui seraient convertis au biogaz pour le transport de voyageurs.

Les Hauts-de-France, qui emploient déjà du bioGNV pour des autocars, envisagent une conversion du matériel ferroviaire thermique existant avant sa fin de vie en 2040. Neuf régions ont signé un protocole d’accord interrégional avec la SNCF afin d’étudier la pertinence technico-économique du rétrofit GNV de trains régionaux de voyageurs. Sans projets concrets pour le moment. La SNCF a pour l’instant mis le GNV de côté pour décarboner son matériel roulant. Altom ne compte pas se positionner sur le rétrofit de ses anciens modèles malgré l’intérêt de plusieurs régions pour cette solution. Les acteurs du fret ferroviaire qui fonctionnent souvent avec de faibles marges rechignent en outre à adopter une telle démarche.


 

Diversités de motorisations

Les moteurs MAN, Caterpillar, MTU et EMD que l’on trouve souvent dans les locomotives pourraient facilement être adaptés à un fonctionnement au GNV/bioGNV. Ces motoristes ont parfois déjà travaillé sur des offres à leurs catalogues avec ce carburant alternatif, mais elles ne sont pas prévues ni homologuées pour le ferroviaire en France. Elles le sont parfois déjà à l’étranger et/ou pour les poids lourds routiers. La modification peut être effectuée en monocarburant, ou en dual fuel qui conserve la possibilité d’un fonctionnement au gazole.

D’autres technologies pourraient être développées, mais ne sont pas matures aujourd’hui. Ainsi le dual fuel GNV/hydrogène et la pile à combustible GNV. L’Argentine et les Etats-Unis s’intéressent à l’hybridation GNV/électrique. Dans tous les cas, l’avitaillement en biogaz pourrait être effectué en station dédiée (GNC) ou par des camions (GNL), avec une vitesse comparable au remplissage en gazole des réservoirs, soit 30 minutes pour 50 m3.

Il n’existe pas encore de réglementation relative au GNV dans le transport ferroviaire au niveau français ou européen. L’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire) pourrait créer un référentiel pour la France s’inspirant des pratiques sur les véhicules routiers. Avec toutefois des spécificités à prendre en compte, comme la présence de caténaires susceptibles de provoquer des étincelles, et les importantes vibrations encaissées par les trains.

 

Jusqu'à 85 % de GES en moins

Le gazole non routier émet, du puits à la roue, 321 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure, contre 47,5 pour le bioGNC et 86,5 avec le bioGNL. Quel que soit le carburant, un TER Bombardier consomme en moyenne 13,59 kWh/100 km en 100 % thermique, mais 9,78 kWh/100 km en déclinaison bi-mode. En passant ou gaz naturel, une perte de 25 % de puissance est observée, qui peut-être gommée en hybridant le matériel avec une batterie de 100 kWh. Ce qui ferait baisser les chiffres respectivement à 12,18 et 8,80 kWh/100 km.

Toutefois, de telles pertes de puissance ne sont pas observées avec les motorisations à injection directe ou séquentielle. Tirant des charges jusqu’à 12 fois supérieures (1 800 tonnes contre 150), les locomotives de fret et de manœuvre affichent une consommation moyenne beaucoup plus élevée de 48 kWh/100 km. Que ce soit pour le fret ou le transport de voyageurs, par rapport au gazole non routier, la baisse des émissions d’équivalent CO2 serait de 73 % avec le bioGNL et 85 % avec le bioGNC.

Concernant les oxydes d’azote et les particules fines, l'étude estime que les gains peuvent atteindre 99 % en associant le bioGNV à un catalyseur de dépollution sur les machines en monocarburation. Sans filtrage et avec des motorisations dual fuel, ils ne seraient que de 30 % pour les NOx et entre 12 et 31 % au sujet des suies.

 

Une technologie économiquement pertinente

Puisque l’emploi du bioGNV apparaît pertinent au niveau environnemental pour atteindre les objectifs de décarbonation du transport ferroviaire, qu’en est-il au niveau économique ? Les rédacteurs ont dû prendre en compte de nombreux paramètres, dont l’évolution du prix des carburants, l’investissement dans les stations d’avitaillement, le stockage du bioGNV, le coût de conversion du matériel roulant (entre 0,49 et 1,55 million d’euros hors hybridation), l’adaptation des ateliers dont le nombre diffère d’une région à l’autre, le nombre de jours d’exploitation des trains, le kilométrage, etc.

C’est principalement la perspective d’une augmentation du prix du gazole non routier qui permet d’envisager sur 20 ans un TCO allégé de 10 à 25 % en passant au bioGNV sur les trains de voyageurs. Du fait de leur plus grande consommation en carburant, les locomotives de fret et de manœuvre afficheraient un score encore meilleur avec un gain jusqu’à 40 %.

 

Quel matériel à convertir ?

Pour le transport de voyageurs, les bons candidats pour un passage au bioGNV sont équipés d’un moteur MAN. Il s’agit des A-TER X 73500 d’Alstom (315 exemplaires), et, chez Bombardier, les modèles XGC X 76500 (163), BGC B 82500 (uniquement 25 % des 140 unités) et BGC B 81500 (25 % des 185 unités). Pourquoi seulement 25 % pour les deux derniers modèles ? Le plus souvent c’est en raison de programmes de conversion d’une partie des unités à l’électrique et d’une motorisation bi-mode qui se prête moins au biogaz). Pourraient également être converties au bioGNV 546 locomotives de fret.

Pour le fret, il a aussi été envisagé l’achat de locomotive GNV neuves. S’il n’y a pas d’offre à ce sujet en Europe aujourd’hui, cette solution pourrait se développer aux Etats-Unis.
 
Tout le matériel ne pourra pas être converti
Le rapport prévient que le rétrofit n’est pas souhaitable dans tous les cas de figure. Ainsi, par exemple, avec les locomotives de manœuvre, souvent trop âgées. Certaines ont été mises en service il y a plus de 60 ans. D’où une liste proposée du matériel régional qui pourrait être éligible à une telle conversion. N’y figurent pas les trains qui seront prochainement radiés, ceux promis à une conversion à l’hydrogène, et ceux qui assurent un service transfrontalier.
 

Un potentiel de près de 100 lignes dans l'Hexagone

L’Ademe a établi une cartographie des lignes où l’usage de ce carburant alternatif serait pertinent, en l'occurence des tronçons "non électrifiés" de plus de 40 kilomètres.

Selon le décompte du rapport, cela représente un potentiel de 49 lignes de trains régionaux de voyageurs et 41 lignes de fret et de manoeuvres. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est, Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine sont celles qui concentrent le plus grand nombre de lignes. À croiser avec la carte des sites d'injection de biométhane en France pour favoriser une boucle vertueuse.
 
 

Les perspectives du train bioGNV en France
L'étude vise à identifier les zones de pertinence du bioGNV dans le transport ferroviaire en France : régions, lignes ferroviaires, matériels moteurs. Les travaux incluent une analyse environnementale et une analyse technico-économique du train bioGNV en comparaison au gazole, ainsi qu'une étude des lignes ferroviaires de pertinence, en fonction des caractéristiques régionales et d'usage. L'étude a été co-financée par l'ADEME et GRDF.
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Philippe SCHWOERER Philippe SCHWOERER
Journaliste
Très tôt sensibilisé aux économies d'énergie, Philippe défend une mobilité durable plurielle à travers ses articles publiés dans plusieurs médias en ligne.

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3 Commentaires

  1. AlberiPublié le 08/01/2024 à 13:14

    Article intéressant qui montre de nouveau la pertinence du GNV.
    En espérant que les décideurs européens le comprennent également pour les véhicules légers...

  2. ThomasPublié le 08/01/2024 à 18:20

    Excellente initiative, projet profitable en coût, en autonomie énergétique, pour la diminution de la pollution, pour la diversification des mode d’énergie ; car l’électrique dépendant ne pourra pas tout remplacer.

    Merci pour cette étude

    Bien cordialement

    Serge Thomas

  3. EricPublié le 09/01/2024 à 09:14

    Excellente initiative qui démontre encore une fois la pertinence des solutions bioGNV et retrofit d’un point de vue économique et financier dans l’intérêt des territoires et de leurs populations. D’abord financier avec des solutions de décarbonation à faible coût pour les collectivités et réalisable dès à présent, ensuite économique au travers de développement d’écosystèmes territoriaux durable via la méthanisation avec des externalités positives pour les collectivités et leurs populations. Cela répond pleinement au mix énergétique indispensables à la transition énergétique et à l’indépendance énergétique des territoires

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