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Au Mont Saint-Michel, les moules servent à produire du biométhane

Au Mont Saint-Michel, les moules servent à produire du biométhane
Source : Unsplash, image libre de droit
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Pour pouvoir bénéficier de l’appellation d’origine protégée (AOP), les moules de bouchot de la baie du Mont Saint-Michel doivent mesurer au moins 4 cm. Plutôt que de détruire à perte ces coquillages à la chair si appréciée des touristes et Bretons, Cultimer cherche depuis des années à les valoriser. Une des sérieuses pistes qui vient de déboucher sur un prototype opérationnel est d’en faire un intrant pour un méthaniseur proche. Une idée qui pourrait bien se répandre sur les littoraux français.

Le Web a souvent bonne mémoire et y effectuer quelques recherches peut être payant. En janvier 2023, le média 20 Minutes témoigne qu’à la date du 21 septembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a suspendu au Vivier-sur-Mer (35) l’épandage des moules trop petites sur cette zone qu’on appelle l’estran, alternativement couverte et découverte par la marée. A l’origine de cette décision, les plaintes des riverains incommodés par le spectacle et ses odeurs. Dans l’urgence, les mytiliculteurs ont dû trouver des solutions. Par exemple acheminer en Normandie pour enfouissement cette masse qu’on ne saurait voir. Le volume de moules qualifiées de sous-taille représentent 20 à 30 % de la production.

Il y a 3 ans, Cultimer travaillait déjà sur son projet de valorisation par méthanisation dont l’idée remonte même à 2017. Metharama a interrogé Jean-Marie Grosmaître, directeur de sites pour le groupement de producteurs réunis en SAS depuis 1999 et basé à Dol-de-Bretagne : « Nous sommes une société commerciale spécialisée dans la commercialisation de coquillages et crustacés, en particulier des moules et huîtres vivantes. Nos 21 actionnaires sont des producteurs ou familles de producteurs. C’est notre identité, notre ADN ».
« Un jour, un de nos producteurs a mis des moules dans une bouteille en plastique. On a vu que ça gonflait »
« En France, 60 000 tonnes de moules de bouchot sont produites. Selon les années, la part de Cultimer pèse entre 7 000 et 8 000 tonnes, auxquelles s’ajoutent 2 000 à 3 000 tonnes d’huîtres. Pour un chiffre d’affaires compris entre 30 et 33 millions d’euros, une centaine de collaborateurs se répartissent sur les deux sites », présente Jean-Marie Grosmaître.

La méthanisation n’a pas été la première idée pour valoriser les moules sous-taille : « Nous pensions d’abord à trouver un moyen de les manger. Mais, même si les volumes sont importants, ils ne le sont pas assez pour développer à notre niveau des produits alimentaires ou même des cosmétiques. Un jour, un de nos producteurs a mis des moules dans une bouteille en plastique. On a vu que ça gonflait. On s’est dit qu’il devait y avait du gaz dedans. Nous nous sommes alors rapproché de l’école agricole de Beauvais, dans l’Oise ».

Les événements se sont ensuite enchaînés : « Un étudiant de cet établissement a bien observé que les moules dégazaient. C’est remonté jusqu’à l’UTC de Compiègne qui fait partie de la communauté des établissements de Sorbonne Universités. Un étudiant thésard est venu travailler avec nous. Il est toujours à nos côtés aujourd’hui. Au bout de trois ans, nous avons eu un démonstrateur pilote. Maintenant, nous en sommes au stade de la modélisation à l’échelle 1 ».

Dans un conteneur

Les objectifs du projet ont été clairement définis : « Notre solution doit être locale, fonctionner en circuit court, et intégrée à l’activité de production. Elle sert à pallier les nuisances de l’épandage des moules sous-taille et que notre problématique les concernant ne voyage plus. Nous avons créé un module qui fonctionne avec une certaine quantité de moules à ajouter chaque jour. Notre prototype est alimenté aujourd’hui par trois producteurs dans un esprit de mutualisation. Pour qu’il fonctionne avec un seul, il faudrait qu’il ait une production personnelle supérieure à 1 000 kg par jour, ce qui est rare pour un mytiliculteur ».

Le prototype a été étudié pour « être complet, facilement aménageable, duplicable, pas trop cher, mobile, et dimensionné pour un classement ICPE [Installations classées pour la protection de l’environnement, ndlr] en déclaratif. Il tient dans un conteneur qui reçoit une quantité journalière de 1,5 tonne de moules sous-taille, mis en auto-fermentation sur 3 jours ».

Concrètement, le conteneur contient 6 cuves d’une contenance de 1 m³ qui forment autant de bioréacteurs. La ration journalière en moules préalablement broyées est dispersée deux d’entre eux à raison de 750 kg chacun auxquels sont ajoutés de l’eau et de l’inoculum. Ce dernier est en fait une petite quantité d’hydrolysat, c’est-dire du produit obtenu en fin de cycle, prêt à être ajouté au méthaniseur : « On réensemence pour réamorcer les futures réactions ». C’est le même principe que de prélever une partie de pâte à pain pour en faire le levain d’une prochaine fournée.

1600 litres d’hydrolysat + 900 kg de coquilles

Alimentés en électricité, les bioréacteurs permettent de chauffer leur contenu à une température de 55° C. Au bout des 3 jours d’auto-fermentation, la chair est séparée de la coquille. Les chiffres sont susceptibles de varier, mais lors de l’étude, les 1 500 kg quotidiens de moules mélangées à de l’eau devaient donner en sortie du processus 900 kg de coquilles vides et 1 600 litres d’hydrolysat : « C’est dans ce liquide que l’on retrouve les bactéries et la chair digérée des moules. Ce produit est composé d’AGV, les acides gras volatils ».

Les coquilles ne sont pas perdues : « Elles sont complètement nettoyées et exploitées comme minéral calcaire pour l’amendement des sols. Nous travaillons aussi avec un partenaire pour en faire un complément nutritionnel de l’alimentation animale. Ce projet en est en phase d’intégration ».

Et l’hydrolysat ? Lors de sa thèse sur le sujet, Maël Mercier-Huat, aujourd’hui chargé de mission chez Cultimer, et à l’époque étudiant à l’université de technologie de Compiègne, notait que les 1 600 litres d’hydrolysat génèreraient de l’ordre de 17 m3 de méthane lors de son passage dans le digesteur. Selon ses chiffres, ce produit obtenu en 3 jours avec 1,5 tonne de moules sous-taille permettrait, par exemple, d’assurer pendant une douzaine de jours la consommation énergétique d’un appartement de 60 m² occupé pas 2 ou 3 personnes.
« Remettre de la maritimité dans les territoires »
Avant de partir vers le site de méthanisation en service depuis 2019, l’hydrolysat est hygiénisé en une heure par chauffage à 70° C : « Les cuves de 1 m3 conçues sous forme de caisse palette se déplacent avec les traditionnels engins de manutention jusqu’à un camion. Elles rejoignent ainsi environ tous les deux jours le méthaniseur géré par deux agriculteurs associés. Cette unité est située à environ 10 km du Vivier-sur-Mer, pas loin de Dol-de-Bretagne ».

Le transvasement dans le digesteur est assez simple : « Les cuves sont munies d’un robinet que l’on ouvre pour ajouter en une heure environ notre hydrolysat quotidien aux autres intrants, notamment ceux en provenance de l’exploitation agricole en zone de polder et les déchets verts fournis par la coopérative agricole Agrial ».

La part apportée par Cultimer pour alimenter le digesteur pourrait apparaître au final assez peu élevée par rapport aux autres sources : « C’est une volonté de la région de remettre de la maritimité dans les territoires. Il s’agit de faire du gaz avec tous les intrants locaux. Les 2 ou 3 % de chaque source mis côte à côte fournissent au total suffisamment d’intrants pour faire fonctionner le méthaniseur ». C’est pour cela que l’Europe, dans le cadre du fonds pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA), et la région ont participé ensemble à hauteur du tiers de l’enveloppe de 900 000 euros nécessaire pour mener à bien le projet. Ces aides ont été fléchées à 2 x 78 000 euros pour le pilote de méthanisation et 2 x 68 443 euros pour le prototype de fermentation.

Elargir le spectre

Et pour la période hors saison ? « On réfléchit à élargir le spectre de nos produits en entrée du processus de fermentation afin de fournir de nouvelles solutions pour nos producteurs et rentrer dans nos frais. Ainsi en pré-digérant d’autres matières organiques, comme des résidus de barquettes. L’hydrolysat qui va intégrer le méthaniseur sera alors différent, mais les bactéries s’adapteront. Nous resterons dans la catégorie animal hygiénisé Span C3 [NDLR : Cette catégorie définit les produits sans risques sanitaires élevés, comme peuvent l’être aussi les déchets de cuisine et de table, d’anciennes denrées, le lait, les œufs, etc.] ».

Jean-Marie Grosmaître voit plus large que la baie du Mont Saint-Michel : « Quand notre modèle sera validé, il pourra être élargi à d’autres littoraux. Nous sommes assez connus dans la profession ». Depuis le démarrage en juillet 2025, des évolutions ont déjà été constatées. « Nous nous sommes aperçu que nous avons besoin de moins de quantité d’inoculum dans nos rations quotidiennes. Aussi, avec le recul, nous nous rendons compte combien cette chaîne est simple, bien plus que nous ne le pensions au départ. Ca nous a vraiment surpris », conclut le responsable de sites Cultimer.
 
 
 
 
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