Biogaz à la ferme : A Rennes, ces agriculteurs misent sur la méthanisation

Biogaz à la ferme : A Rennes, ces agriculteurs misent sur la méthanisation
Pour les 3 agriculteurs associés qui ont créé le Gaec de Lagot près de Rennes (35), avoir misé sur une unité de méthanisation pour un complément de revenus apparaît aujourd’hui comme une excellente idée. Et ce, en particulier en raison de la situation mondiale qui fait exploser tous les prix.
 
Avec une production annuelle de l’ordre de 5 GWh, le Gaec de Lagot pourrait alimenter annuellement 1 000 logements neufs dont les occupants utiliseraient le biogaz pour se chauffer, obtenir de l’eau chaude sanitaire et préparer les repas. Et s’il s’agissait d’orienter cette énergie vers la mobilité, ce sont 30 bennes à ordures ménagères qui pourraient fonctionner avec ce carburant sur la même période.
 
Cette production est le résultat de la méthanisation de 8 500 à 9 000 tonnes d’intrants exploités à l’année. Ils permettent de générer 50 Nm3 de gaz par heure. Epuré sur place à un taux de 98 %, il est vendu à Engie et injecté sur le réseau GTRgaz depuis février 2021.

Le Gaec de Lagot est installé au lieu-dit La Coudraie, sur la commune de Pacé, distante de Rennes d’une dizaine de kilomètres. La zone est surtout connue pour ses magasins, dont celui de la chaîne Ikea situé à environ 1 km à vol d’oiseau.
 
Ce n’est pas un hasard si les 3 associés Gildas Guillard, Léon Lemarchand et Kevin Sauvée ont choisi ce site. Les parents de ce dernier exploitaient déjà une ferme à cet endroit. Les 2 autres sont installés tout à proximité. Si Kevin Sauvée, 35 ans, est passionné par le travail agricole, c’est comme mécanicien que vous auriez pu le rencontrer il y a encore peu d’années. « J’aime tout ce qui est nouveauté et machinerie », commente-t-il.
 

Cogénération ou méthanisation ?

« Je ne me voyais pas investir dans la ferme alors que la consommation de lait et de viande est en baisse en France. Je ne voyais pas cela comme une situation durable. Nous sommes dans une société qui met davantage d’importance à l’énergie plutôt qu’à l’alimentation. En outre, il m’apparaissait inconcevable de travailler seul. Avec le rythme qu’imposent nos métiers aujourd’hui, il est préférable de former une structure à plusieurs exploitants », témoigne Kevin Sauvée.
 
Pour reprendre la ferme de ses parents, il a dû suivre une formation. C’est un parcours quasiment incontournable depuis déjà pas mal d’années. C’était en 2013. A l’époque, le centre de formation où il s’était inscrit s’intéressait déjà à la méthanisation. De quoi sensibiliser notre interlocuteur qui a un temps imaginé mettre en place un système de cogénération pour alimenter en eau chaude la piscine de Pacé. « J’ai cependant vite compris qu’il était plus simple et moins lourd en investissement d’injecter du gaz plutôt que de transporter de l’eau chaude », explique le jeune exploitant.

 

Pas de méthanisation sans exploitation agricole

A la base, le Gaec de Lagot est une exploitation agricole. Elle vend son lait - 1, 1 million de litres annuellement - à une coopérative située à Cesson-Sévigné. La viande bovine limousine est valorisée au Carbasson, un magasin qui vend en direct des produits alimentaires issus de l’agriculture locale. Son nom désigne une corbeille qui servait autrefois à la récolte, au stockage et au commerce des denrées.
 
Parmi les 320 têtes du Gaec, on compte 115 vaches laitières, mais aussi des taurillons. L’entreprise élève en plus de la volaille. « Si on s’en tient à la seule activité agricole, 70 % du chiffre d’affaires provient du lait, entre 20 et 25 % de la viande, et entre 5 et 10 % des céréales récoltées sur 120 hectares de terres », calcule Kevin Sauvée.

Kevin Sauvée nous a fait le tour du propriétaire
 
Avec un investissement de 900 000 euros, l’exploitation agricole dégage un chiffre d’affaires annuel de 300 000 euros. Il est de 600 000 euros pour la partie méthanisation, avec une mobilisation de 2,4 millions d’euros.
 
« Pour l’instant, c’est nous qui avons tout supporté. Nous avons bien signé une convention avec l’Ademe, et notre dossier a été validé. Mais pour obtenir une aide, c’est quand même compliqué. Il y a toute une procédure à respecter », avoue Kevin Sauvée. « Quand on présente au banquier un projet d’installation agricole comprenant une production laitière, de viande, mais aussi d’énergie, la demande de financement passe beaucoup plus facilement », assure-t-il. « Et même pour nous c’est plus rassurant. Une année avec une grosse crise du lait prive les exploitants concernés d’une très grosse part de leurs revenus. Il nous resterait heureusement, dans ces conditions, les 120 000 euros de la méthanisation », complète-t-il.
 

Ration quotidienne du digesteur

Chaque jour, le digesteur reçoit 12 m³ de lisier frais, entre 8 et 10 tonnes de fumier bovin, 1 à 2 t de fumier de volaille, 1,5 t de maïs, et entre 1,5 et 3 t de CIVE (seigle en majorité).
 
« Concernant le maïs, nous utilisons principalement des restes d’auges et les parties (dessus et côtés) contenues dans les silos que nous jugions auparavant impropre à l’alimentation de nos bêtes », précise Kevin Sauvée.
 
Les dispositions règlementaires imposent que la part de maïs qui entre dans un digesteur ne dépasse pas 15 %. En Bretagne, selon une enquête réalisée par la Dreal sur 3 ans, elle est légèrement inférieure à 8 %. « Le maïs est nécessaire pour équilibrer la ration envoyée au digesteur par la trémie. Elle permet au fumier et au lisier de produire davantage de gaz. Nous ajoutons également, fournis par la Banque alimentaire de Pacé, les produits reçus des grandes surfaces et qui n’ont pas pu être distribués pour l’alimentation humaine », souligne notre interlocuteur.

 
« Les intrants restent 69 jours dans le digesteur à une température de 42° C. Avec un diamètre de 23 mètres, pour une hauteur de 6 m, il contient 2 200 m³ de matière organique. A l’année, il en sort, en plus du gaz, entre 8 200 et 8 500 tonnes de digestat », détaille Kevin Sauvée.
 
« Si nous n’avions pas fait le choix de la méthanisation, nous aurions dû construire une fosse à lisier de 3 000 m³. Du CO2 aurait été relâché dans l’atmosphère alors que maintenant il est piégé. En 5 ans, nous empêchons la libération de 1 400 tonnes de CO2. En outre, nous aurions également eu des dégagements d’azote ammoniacal, un puissant gaz à effet de serre », met-il en avant. 

« Le digestat liquide est plus efficace que l’azote et l’épandage traditionnel. Avec zéro perte, nous pouvons l’injecter directement dans la terre. Ce qui gomme de beaucoup les odeurs. Grâce à cela, nous avons déjà pu réduire des deux tiers nos achats d’engrais, en espérant pouvoir tout simplement les supprimer complètement un jour. Quand on voit l’augmentation du prix de ce produit, nous nous réjouissons du choix que nous avons fait pour le Gaec», réfléchit-il.
 

Les grandes dates du projet

« J’ai repris la ferme de mes parents le premier septembre 2019. Mais mes associés et moi avions déjà commencé à monter le projet de méthanisation dès 2017, avec signatures des engagements l’année suivante. En 2019, les bâtiments ont été construits de telle sorte à éviter d’avoir à faire traverser la route aux bêtes », date Kevin Sauvée.
 
« C’est l’entreprise bretonne GR Energies qui s’est occupée du méthaniseur, et Prodeval pour l’unité d’épuration. La méthanisation a commencé en 2020. C’était l’année de l’accident du méthaniseur de Châteaulin. Les journaux et la radio n’arrêtaient pas d’en parler », se souvient-il. « Le cas d’une pollution d’un cours d’eau ne serait pas possible chez nous. Le terrain est en pente avec une digue qui contiendrait intégralement un déversement accidentel. En outre, nous avions pris soin de rencontrer au préalable nos voisins pour bien leur expliquer notre projet en détail. C’est ce qui nous a permis de gagner leur confiance. L’un d’eux plaide d’ailleurs régulièrement en notre faveur », rapporte-t-il.

 
« Nous avons fait le bon choix »
Chaque exploitation avec un méthaniseur est unique. Le Gaec de Lagot est quelque peu handicapé par une surface de terre un peu chiche autour des bâtiments. Mais son point fort est d’être à proximité d’un point de raccordement qui a limité les coûts du projet. « Nous avons fait le bon choix. J’encourage d’autres agriculteurs à en faire autant », conseille Kevin Sauvée.
 
Tout proche de cette unité de méthanisation, GRDF dispose d’un vaste bâtiment associé à une flotte d’une centaine de véhicules, dont près de 90 % fonctionnent avec du biogaz. Fin 2023, elle sera entièrement convertie au bioGNC. Sur place, une station privative mise en service il y a moins de 2 ans les avitaille. Quarante voitures peuvent être servies par heure.

 
 
Gaz Mobilité et moi-même remercions Kevin Sauvée de nous avoir ouvert les portes de son Gaec.


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Philippe SCHWOERER Philippe SCHWOERER
Journaliste
Très tôt sensibilisé aux économies d'énergie, Philippe défend une mobilité durable plurielle à travers ses articles publiés dans plusieurs médias en ligne.

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