FNTR : « La filière gaz est une filière mature »

FNTR :  « La filière gaz est une filière mature »
Erwan Celerier, Délégué aux Affaires Techniques, à l'Environnement et à l'Innovation - FNTR
Délégué aux Affaires Techniques, à l’Environnement et à l’Innovation au sein de la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers (FNTR), Erwan Celerier revient avec Gaz-Mobilité sur les enjeux de décarbonation du transport routier de marchandises.
 
 
Quel est votre rôle au sein de la FNTR ?
 
Erwan Celerier : J’ai le plaisir d’animer au sein de la FNTR la Commission Nationale Professionnelle Technique qui rassemble des professionnels issus de nos entreprises adhérentes qui ont une appétence particulière sur le domaine technique. Cette Commission aborde également les différents aspects liés à l’environnement et à l’innovation et se réunit tous les trois à quatre mois. C'est à la fois un lieu d'échanges et de discussions entre les professionnels, mais aussi un lieu de partage de l'information. Nous essayons de faire intervenir à chacune de nos Commissions un certain nombre d’acteurs extérieurs : constructeurs, énergéticiens… afin d’évoquer avec eux les sujets d’actualité qui impacte la profession.
 
La question de la transition écologique dans les transports est actuellement au cœur des débats. Comment la fédération appréhende le sujet ?
 
Aujourd'hui, toutes les technologies ne permettent pas de répondre à l'ensemble des usages et des besoins des transporteurs, à commencer par l'électrique à batterie. Dans l'attente de la pleine maturité de ce type de filière, nous devons donc pouvoir nous appuyer sur un mix énergétique qui nous permette de disposer d’une solution alternative sur l'ensemble de nos usages.
 
Au niveau de la réglementation européenne, la problématique est que nous avons un règlement CO₂ des poids lourds qui a été révisé il y a peu avec des objectifs pour les constructeurs qui sont de -45 % de CO2 à l'horizon 2030, -65 % à horizon 2035 et -90 % à horizon 2040. Tout cela, c'est par rapport à une période de référence qui va du 1ᵉʳ juillet 2019 au 30 juin 2020. Ces obligations imposent aux constructeurs d’aller vers des véhicules dits zéro émission. Malheureusement, la réglementation européenne ne prend pas en considération les émissions dans leur globalité, ni en analyse de cycle de vie, ni du puits à la roue, elle ne considère que les émissions à l'échappement.
 
Aujourd'hui, les technologies zéro émission à l’échappement sont soit l’électrique à batteries, soit l’hydrogène. Les constructeurs n'ont donc pas d'autres choix que de commercialiser ce type de véhicule dont les surcoûts sont importants. S'ils ne le font pas, ils encourent de lourdes sanctions : 4 200 €/g/t.km.



 
Cette transition n’est-elle pas compliquée pour les transporteurs ?
 
En effet. Cette transition suppose un changement de paradigme à la fois complexe et crucial qui suscite de nombreuses interrogations de la part des transporteurs.
 
Afin de pouvoir planifier et diriger leurs investissements à 10, voire 15 ans, les professionnels ont besoin de visibilité sur différents aspects. D'abord, sur la disponibilité de l’offre de véhicules à énergie alternative, mais aussi sur le coût de cette offre et son adéquation avec les différentes typologies d'usage. Il y a aussi un besoin de visibilité sur le déploiement des réseaux de distribution et, plus largement, sur la disponibilité de l’énergie.
 
Les questionnements portent également sur les conséquences de cette transition en matière d'organisation des flux logistiques et du parc de véhicules. Quid des pertes de productivité qui vont être liées à ce changement d'énergie ?
 
Au-delà de tout ça, il y a un besoin d'avoir de la visibilité sur l'accompagnement financier de l'émergence de ces solutions propres. Quelles sont les aides qui sont mises en place ? Est-ce que je peux en bénéficier ou pas ?
 
Tout le rôle de notre fédération est précisément, à travers les différents travaux que nous menons, de pouvoir apporter de la visibilité aux entreprises sur les différents points évoqués.

 
Quel est le positionnement de la FNTR vis-à-vis de filière GNV, en GNC ou GNL ?
 
A la FNTR, nous sommes favorables à un mix énergétique. Il ne faut pas opposer les énergies les unes aux autres. Elles ont toutes leur pertinence en fonction de l'usage et du besoin des transporteurs. Le GNL peut être très bien pour faire de la longue distance. Le GNC a également toute sa pertinence. Aujourd'hui, nous allons plutôt parler de bio si on veut avoir réellement des gains en matière de décarbonation. D'ailleurs, dans la feuille de route pour la décarbonation des véhicules lourds (Art. 301 Loi Climat & Résilience), nous avons parlé uniquement de bioGNV.
 
La problématique concernant le GNV a été l’envolée des prix avec le conflit russo-ukrainien. Durant cette période, l'Etat a fait le choix, malgré nos demandes, de ne pas soutenir la filière et certains transporteurs se sont finalement retrouvés pénalisés pour s'être engagés dans la voie de la transition énergétique ce qui est un paradoxe !
 
Cette absence de soutien à la filière gaz a eu pour effet d’altérer d’une manière plus générale la confiance des transporteurs désireux de lancer des investissements sur d’autres motorisations et énergies alternatives dans la perspective de décarboner leurs activités.
 
La filière gaz est une filière mature. Il y a aujourd’hui au niveau du parc de véhicules plus de 10 000 camions GNV (porteurs + tracteurs). C'est de loin la première énergie alternative en termes de nombre de véhicules dans le parc. Ce que l’on dit au niveau de la fédération, c'est qu'il est absolument nécessaire que cette énergie reste disponible dans l'attente de la pleine maturité d'autres filières.
 
Aujourd’hui, l’électrique à batteries ne permet pas de répondre à l'ensemble des usages des transporteurs. Son usage est pertinent en distribution urbaine, mais non adapté à la mobilité longue distance. Les transporteurs ont donc besoin du GNV et, plus globalement, de tous les biocarburants liquides bas-carbone, de type B100 / HVO. Ce sont des technologies importantes si on veut pouvoir décarboner dès à présent sans forcément avoir les surcoûts importants que l'on connaît sur l'électrique ou sur l'hydrogène.

Evolution du nombre de poids lourds GNV en France - Source : Open Data Réseaux Energies (ODRE)
 
Quid de l’hydrogène ?
 
L'hydrogène est aujourd'hui moins mature que l'électrique à batteries. Cela reste tout de même une technologie d'intérêt car elle offre des autonomies plus importantes et des temps de recharge plus courts. Mais l'hydrogène reste globalement lié au développement d'un écosystème dont la maturité est encore insuffisante avec des coûts élevés. On est 5 à 6 fois le prix d'un véhicule thermique. Aujourd’hui, on considère que le développement de l'hydrogène sera plus à un horizon 2030 que 2025.
 
Au-delà de sa représentation française, la FNTR a également un bureau à Bruxelles. On sait que les textes du règlement CO2 seront révisés en 2027. La fédération prévoit-elle de participer aux travaux ?
 
Oui. La FNTR a une représentation européenne depuis plus de 25 ans. La fédération dispose d’un bureau permanent à Bruxelles en commun avec les fédérations nordiques et allemandes, ce qui nous permet de conforter notre action de lobbying. C'est absolument fondamental puisque Bruxelles est la capitale des institutions européennes. C’est là-bas que s'écrivent plus de 80 % des législations qui vont venir impacter notre domaine d'action et la profession…
 
Sur la révision des textes, je ne rentrerai pas dans le détail sur ce point. Ce sont mes homologues au niveau européen qui suivent cette thématique-là. Mais bien évidemment, c'est quelque chose que nous allons suivre très attentivement et nous essayerons de faire en sorte que le GNV puisse être reconnu comme il doit l'être.


Il y a quelques semaines, nous évoquions avec la FNTV la problématique du coût de cette transition pour le secteur du transport de voyageurs. J’imagine que les préoccupations sont les mêmes pour le transport routier de marchandises ?

Effectivement, il va falloir qu'on trouve des mécanismes pour pouvoir financer cette transition. Lorsque nous avons travaillé sur les hypothèses du run 1 de la SNBC, nous avons estimé, en incluant le prix des véhicules et des infrastructures, un surcoût qui était de 52,6 milliards d'euros, toutes énergies alternatives confondues sur la période 2022-2040.
 
Entre temps, le run 2 de la SNBC a été publié avec des objectifs qui s'alignent finalement sur le règlement CO₂ des poids lourds (en privilégiant l’électrique, ndlr). Le surcoût a été réévalué à 79 milliards d'euros. Le vrai sujet est de savoir comment nous allons financer tout ça.
 
Évidemment, ce ne sont pas les transporteurs qui vont pouvoir supporter seuls ces surcoûts. Nous sommes dans un contexte de crise économique avec des marges relativement faibles dans le secteur : 1 à 2 % en moyenne. Nous avions réalisé une étude avec la Banque de France. Une entreprise sur deux a un niveau d'endettement supérieur à ses fonds propres et 30 % sont déficitaires.
 
Cela veut dire que ce surcoût devra nécessairement être partagé. Il faudra certainement qu'il y ait l'implication des chargeurs qui devront accepter de payer un prix plus élevé de la prestation de transport lorsqu'elle est réalisée avec un véhicule qui fonctionne avec des énergies alternatives. Il faudra certainement que l'Etat contribue, mais avec les limites budgétaires que l’on connaît. Enfin, il faudra sans doute que le consommateur final accepte de payer, dans le prix du produit final, une part de transport qui sera un peu plus importante…



 

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Michaël TORREGROSSA Michaël TORREGROSSA
Rédacteur en chef
Persuadé que la mobilité du future sera multi-énergies, Michaël est le rédacteur en chef et fondateur de Gaz Mobilité.

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