EcoGreen Forum : « Nous avons besoin de toutes les énergies pour la décarbonation »

EcoGreen Forum : « Nous avons besoin de toutes les énergies pour la décarbonation »
En s’ouvrant à l’électrique en 2023, l’EcoGreen Gas est devenu EcoGreen Energy. Si cette évolution était très visible dans les paddocks, en contrepartie, le forum qui s’est déroulé ce mercredi 10 mai était très axé sur l’énergie gaz, la méthanisation et le bioGNV. Un véritable concentré homogène qui interpelle le gouvernement français et le parlement européen. Nous allons traiter ce sujet en 2 articles. Voici le premier volet qui rend compte des interventions de l’Ademe et des 3 partenaires majeurs de l’événement : GRDF, GRTgaz, et la région des Pays de la Loire.
 
Comme l’a très bien rappelé Patrice Merhand ce 10 mai, le premier forum organisé l’année dernière en amont du départ du challenge de sobriété a été « une vraie réussite ». L’édition 2023 est montée en puissance avec un discours très militant dont le gouvernement français devrait se réjouir et en profiter pour défendre les intérêts de la large filière du biogaz. Lors du lancement de l’événement, le président de l’association EcoGreen Energy a donné la tonalité : « On marche vraiment sur la tête en s’orientant exclusivement sur l’électrique et l’hydrogène et en excluant tout ce qui est gaz ».
 
Tous les intervenants se sont exprimés à l’unisson pour une réaction urgente de l’Europe en faveur d’une énergie qu’elle néglige alors qu’elle est immédiatement exploitable et prêtre à tenir le rôle majeur qu’on lui refuserait, en particulier pour la mobilité. Gaz Mobilité adhère forcément aux propos des 4 professionnels qui s’inquiètent du projet de règlementation concernant les émissions des poids lourds, votée dans l’urgence juste avant les élections européennes de mai 2024. Un contexte très palpable dès la première table ronde intitulée « Retour d’expérience sur la crise énergétique hivernale - Les marchés/Les enjeux ».
 

Serein pour l’hiver 2023-2024

Secrétaire générale au sein de GRTgaz, en charge de la stratégie et des affaires publiques, Catherine Brun s’est d’abord réjouie en raison d’un hiver 2022-2023 qui n’a pas été cette catastrophe que nous redoutions un peu tous : « Nous n’avons pas eu de coupures d’approvisionnement, nous en sommes soulagés et heureux ». Ce qui montre que « nous avons des infrastructures gazières résilientes. Nous sommes passés d’un gaz venu de la frontière allemande à un gaz venu d’autres horizons, en particulier de la Norvège et de la façade atlantique. Pour la première fois, nous avons exporté du gaz vers l’Allemagne ».
 
Cette inversion des flux, avec une sollicitation importante des unités de stockage, est le signe d’une étroite collaboration : « Nous avons énormément travaillé avec les pouvoirs publics ». Cette situation est de bon augure : « Nous sommes sereins pour le passage du prochain hiver ». Les problèmes de stockage semblent désormais derrière nous.
 

Mais une situation toujours instable

Avec des résultats concluants, la France a donc appris à se passer du gaz russe. La situation est-elle pour autant totalement sous contrôle ? Directrice régionale GRDF pour une partie du flanc ouest de l’Hexagone, Véronique Bel est plus mesurée.
 
« Le marché du gaz est aujourd’hui apaisé. Mais les ingrédients qui ont permis cette situation restent instables, et on n’en a pas forcément les leviers. La crise ukrainienne joue toujours sur l’offre. Les grèves sont source de tensions sur la production et l’offre. Nous avons aussi beaucoup été aidés par un hiver particulièrement doux ».
 
Selon elle, il est important d’atteindre un équilibre entre l’offre et la demande « désensibilisé des drivers instables ». Aujourd’hui, seul le gaz dépasse les objectifs, certes assez timides, de décarbonation. Tout autant préoccupé par la prise de position trop électrique de l’Europe, Philippe Henry, vice-président du conseil régionale des Pays de la Loire, a interrogé : « Quelle électricité décarbonée avons-nous eu cette hiver ? Nous avons eu 40 % d’électricité en provenance du charbon. Au printemps, on joue les vierges effarouchées pour pousser à la décarbonation, mais si on exploite le charbon pour passer l’hiver ça ne gêne plus personne ».
 

Des tranches nucléaires de biogaz

Il reste encore à « accélérer sur la transition énergétique pour passer du gaz naturel au gaz renouvelable », a prévenu Catherine Brun. Pas seulement par méthanisation, mais aussi en comprenant d’autres processus de production, comme « la gazéification thermale et la pyrogazéification ».
 
Jamais complexée dans ses interventions publiques, Véronique Bel se serait presque amusée, si le sujet n’était pas si sérieux. « Aujourd’hui, pour bien faire comprendre l’importance du potentiel du biogaz, nous comparons ses capacités à des tranches nucléaires. Nous avons actuellement 555 unités de méthanisation qui injectent dans le réseau, avec une capacité de production de 10 TWh, soit l’équivalent de 2 tranches nucléaires. En 2030, on sera en biogaz à l’équivalent de 11 tranches ».
 

Sobriété énergétique

Philippe Henry, Catherine Brun et Véronique Bel prônent tous les trois une sobriété énergétique. Mais laquelle ? Une réponse à aller chercher dans les 4 scénarios de l’Ademe qui sont issus d’un document de 600 pages - dont 70 concernant la mobilité - réalisé en amont des dernières présidentielles pour éclairer le débat.
 
Directeur régional pour l’agence, Eric Prud’homme a mis en perspective les 2 extrêmes : Le S1 pour une génération frugale, et le S4 qui s’appuie sur un pari réparateur.
 
« Dans le premier, on contraint les gens à moins consommer, à moins se déplacer. On part du principe que pour décarboner, il faudra contraindre » détaille-t-il. Avec une consommation de viande divisée par trois, le localisme et le low-tech seront ici privilégiés. De nouveaux indicateurs de prospérité devront être définis.
 
Face à ce discours rigoureux, le quatrième scénario apparaît très lâche : « Ici vous pouvez continuer à consommer en masse, puisqu’on va aller chercher le CO2 dans l’air. Mais aujourd’hui, ça n’existe pas. On fait le pari que la technologie va nous permettre d’y arriver ». Le vocabulaire de cette projection, c’est : « étalement urbain », « économie mondialisée », « intelligence artificielle », « agriculture intensive ».
 

Le radicalisme face à l’inactivité

Les 2 scénarios extrêmes de l’Ademe ont vivement fait réagir la secrétaire générale de GRTgaz. « Trop de personnes sont pour ces scénarios. Notamment pour le S4, on entend ce discours que le nucléaire va nous sauver, que le captage va nous sauver ».
 
Le S1 lui apparaît tout aussi dangereux : « Là, on va vers la radicalisation, avec des mouvements d’opposition importants à une énergie perçue comme punitive. Ce qui aura pour effet d’accentuer les oppositions aux projets énergétiques, comme l’éolien » par exemple.
 
Eric Prud’homme a estimé que les scénarios les plus probables sont le S2 qui s’entoure des coopérations territoriales (mode de vie soutenable, économie de partage, gouvernance ouverte, mobilité maîtrisée, fiscalité environnementale, réindustrialisation ciblée) et le S3 soutenu par les technologies vertes. Ce dernier fait d’ailleurs une large place à l’hydrogène et à l’exploitation de la biomasse).
 
« La gouvernance dans le S2, ce n’est pas gagné. Le S3 est le plus proche de ce que nous connaissons aujourd’hui », a traduit le directeur régional à l’Ademe. « Concernant les transports, nous avons fait fonctionner 5 leviers pour définir nos scénarios : la demande de transport notamment pour les marchandises ; le report modal vers le ferroviaire et les bateaux ; le taux de remplissage pour ne pas circuler à vide ; l’efficacité énergétique ; le carburant ».
 
Parmi les intervenants, Catherine Brun n’était pas la seule à s’inquiéter du « retard sur la rénovation des bâtiments ». Et concernant la mobilité, elle a partagé cette image inquiétante : « Nous sommes devant un mur ». Dans la foulé, elle a lancé, ce qui a ensuite été repris par tous les intervenants, sans exception : « Nous avons besoin de toutes les énergies pour la décarbonation ».
 
Un impératif qui exige de ne plus attendre ni de se tromper : « Il y a 6 millions de poids lourds en Europe, avec 300 000 nouvelles immatriculations par an. Ce qui signifie qu’il faut 20 ans pour renouveler tout le parc. En 2022, 96 % des nouveaux poids lourds ont été des modèles diesel ».
 
En démontrant cette urgence à passer à une mobilité plus vertueuse, la secrétaire générale de GRTgaz a rappelé une certitude partagée avec les autres conférenciers du forum : « Il y a aujourd’hui une solution à mettre en place tout de suite, c’est le bioGNV ».
 

Une filière verte et mature à détruire ?

Les 4 intervenants de cette première table ronde ne savent plus quoi penser de la position européenne qui tend à détruire une filière vertueuse et mature à exploiter parfaitement pour faire fonctionner les camions, autocars et autobus. « Les syndicats d’énergie ont investi dans des stations publiques qui délivrent du GNV. Il y en a 250 en France », a mis en avant Véronique Bel. « On nous dit que la transition écologique doit se faire au niveau des territoires, et là on a une décision qui vient d’en haut ».
 
« Le biogaz coche aujourd’hui toutes les bonnes cases »
 
Ses propos de la dirigeante régionale de GRDF ont trouvé un écho du côté de Philippe Henry : « Nous utilisons une matière première d’origine agricole et renouvelable. Nous travaillons sur des circuits courts production, distribution, consommation. Les scientifiques du GIEC nous ont demandé de passer à l’action, et nous sommes passés à l’action. Et ça, c’est percuté, et ça vient d’en haut. Pourquoi devrait-on faire ‘Reset’ sur 10 ans de travaux ? Nous avons besoin d’autonomie et de confiance. Si on est percuté comme ça, ça ne nous permettra pas d’y arriver. Qu’on nous laisse faire nos expérimentations. Le biogaz coche aujourd’hui toutes les bonnes cases ».
 

Fuite en avant ?

Concernant le peu de cas que l’Europe fait du biogaz, chacun a ses idées, et ses craintes. Ainsi le vice-président du conseil des Pays de la Loire : « Nous avons peur d’une fuite en avant avec ce vote qui intervient dans l’urgence juste avant le renouvellement des députés européens ».
 
Du côté de GRDF, en repensant à cette récente tribune portée par 220 signataires : « Le règlement CO2 n’a pas de sens, car on regarde juste ce qui se passe à l’échappement des véhicules. C’est bien pour la dépollution locale, comme les oxydes de carbone. Mais pour le CO2, il faut une vision globale du puits à la roue comme c’était prévu précédemment. On nous dit que c’est compliqué à mettre en œuvre !? Pas à l’heure de la blockchain ! ».
 
La secrétaire générale de GRTgaz a assuré, qu’avec sans doute l’AFGNV à la tête du mouvement, la filière compte interpeler et « rencontrer les députés français et européens, comme Yannick Jadot et Karima Delli ».
 
Pour tous, le mix énergétique est incontournable. « Le biogaz, c’est utiliser les déchets pour une substitution du pétrole là, maintenant, tout de suite. Quelle autre énergie peut faire cela ? Chacune est importante. A chacune ses bons usages. Les transporteurs plébiscitent le bioGNV pour les poids lourds ».
 
Prenons pour conclusion ces mots de Véronique Bel. Ils nous serviront de transition pour le second volet que nous publierons dans quelques jours. Il rendra compte en particulier de la prise de parole du constructeur Iveco et d’entreprises qui ont déjà adopté ce carburant issu de la valorisation de déchets.

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Philippe SCHWOERER Philippe SCHWOERER
Journaliste
Très tôt sensibilisé aux économies d'énergie, Philippe défend une mobilité durable plurielle à travers ses articles publiés dans plusieurs médias en ligne.

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1 Commentaire

  1. GNV64Publié le 16/05/2023 à 15:32

    Bj à toute et à tous
    Oui l’ACV est le bon raisonnement en bilan environnemental, c’est d’ailleurs celui que l’on nous vante concernant notre trop grande consommation de viande importée qui pollue sur son cycle de production "du pré à notre bouche" ...mais on n’est pas à une incohérence près. Oui le bioGNV , soutenable pour les usagers et de technologie mature permet de proposer des solutions immédiates quitte à retrofiter les vieux véhicules mi-lourds (à noter au passage le choix incompréhensible de ranger les VUL d’artisans avec les véhicules légers pour in fine les diriger vers des véhicules électriques alourdis de 350 kg , privés de volumes de chargement et enfin générer une tracasserie d’autonomie dans nos ruelles ?) . Oui contrairement à l’H2 pour l’instant, le GNV a des usagers qui seraient partants avec une visibilité de pérennité à donner par nos instances politiques qui ont fait fuir bon nombre de transporteurs et de constructeurs ). Oui on pourrait proposer le "bioGNV 50" ( mix fossile/bio) pour accompagner la montée en production du bioCH4 à horizon de 10-20 ans ce qui doublerait tout de suite le bioGNV disponible. Oui nous sommes en mesure de rouler avec nos déchets fatals au lieu de les incinérer ou les enfouir ou encore les exporter ( 45% de nos bois déclassés sont exportés et 35% des CSR sont exploités en France) via notamment les processus anciens remis au devant de la scène comme la gazéification hydrothermale, la pyrogazéification et la méthanation. Oui, le bioGNV qui est injecté sur les réseaux secondaires régionaux GRT/GRD et qui ne quitte donc pas notre territoire est indexé sur des cours mondiaux /EU alors que son coût de production est maîtrisé à environ 100 -110 €/MWh auquel il faudrait retrancher les coûts évités d’éliminations des déchets pour un prix rendu à pompe possible de max 1,5 €/kg.... Voilà donc les connexions qu’il serait nécessaire de faire entre urgence climatique, soutenabilité financière et technologie maîtrisée .... on cherche des solutions à l’horizon que l’on a juste à nos pieds !

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