Interview : Comment les Bacs de Seine vont passer au biogaz

Interview : Comment les Bacs de Seine vont passer au biogaz
Fin 2022, le département de la Seine-Maritime a validé la solution biogaz pour les prochains Bacs de Seine. Un choix que nous détaille Eric PETRE, Directeur des ports départementaux, bacs et voies vertes.

Un service historique

« C’est en vertu d’une loi de 1871 que le service des bacs a été confié au Département de la Seine-Maritime. Il y avait à l’époque une vingtaine de passages d’eau » introduit Eric PETRE, Directeur des ports départementaux, bacs et voies vertes au sein du département de la Seine-Maritime. « Avec le développement des aménagements routiers et la construction des ouvrages de franchissement de la Seine, leur nombre a été réduit au fil du temps et il n’en reste plus que huit qui assurent le service sur des amplitudes très larges. La première rotation intervient dès 4h30 du matin et la dernière est assurée à 23h50 » chiffre-t-il.

Au total, la flotte compte 11 bacs répartis entre bacs fluviaux et maritimes. « Les plus anciens ont près de 50 ans avec des mises en service qui remontent aux années 70. Les trois navires les plus récents ont été mis en service en 2020-2021 et 2022. Ils résultent d’un plan de renouvellement et de modernisation de la flotte acté en 2017 » poursuit-il.
 

Bacs fluviaux VS bacs maritimes

Historiquement encadrés par un décret-loi de 1938 désormais abrogé, les bacs de Seine se répartissent en deux catégories :  
  • Les bacs fluviaux dont la jauge est inférieure à 50 tonneaux. Soumis à la réglementation fluviale, ces bateaux peuvent embarquer une dizaine de VL et sont armés par un équipage et d’agents de la fonction publique territoriale : les mariniers.
  • Les bacs maritimes correspondent aux navires de plus de 50 tonneaux et sont soumis à la réglementation maritime. Plus grands, ils peuvent embarquer des poids lourds et disposent d’un équipage constitué de marins.

Plan de modernisation et verdissement de la flotte

Afin de remplacer progressivement ses bacs les plus anciens, le Département a entamé plusieurs plans de modernisation. Résultat d’un plan voté en 2017, le dernier à avoir été finalisé a permis la mise en service de trois nouveaux bacs en 2020-2021 et 2022. « Pour ces 3 nouvelles unités, le choix d’une propulsion diesel a été reconduit. Par rapport aux bacs les plus anciens qu’elles remplacent, nous avons largement réduit nos émissions de CO2 et de particules fines grâce à l’utilisation de moteurs plus récents, plus performants et dotés des dernières technologies en matière de combustion » souligne le représentant du Département.

Voté en octobre dernier, le dernier plan de renouvellement compte poursuivre cette modernisation en s’orientant cette fois vers des énergies alternatives au diesel. « La collectivité devant être exemplaire, l’idée était d’aller plus loin en termes de réduction des émissions de gaz polluants. Nous avons amorcé les études en 2020 avec un stagiaire qui avait à charge de recenser l’intégralité des alternatives au gasoil. Ce premier travail a fait ressortir plusieurs alternatives, dont certaines faciles à mettre en œuvre. Le GTL a été rapidement écarté car il restait un carburant fossile et que nous souhaitions être plus ambitieux. Ressortaient également la solution électrique, le bioGNV mais aussi l’hydrogène compte tenu de l’ensemble des projets poussant à son utilisation, notamment sur l’axe Seine » détaille Eric PETRE.

« L’électrique a été écarté compte tenu des contraintes d’exploitation d’un service aux amplitudes horaires importantes. Pour l’hydrogène, la technologie ne nous est pas apparue suffisamment mature pour être envisagée sur nos bacs d’une part, et de la capacité encore limitée de se fournir en hydrogène vert d’autre part » justifie-t-il.

Une première étude de faisabilité avec GRDF

« Sur la solution biométhane, nous avons eu des premiers échanges avec GRDF pour engager une étude de faisabilité un peu plus poussée afin d’évaluer l’opportunité de l’utilisation de ce carburant. Il s’agissait d’étudier les aspects techniques et financiers mais aussi les contraintes liées au ravitaillement. A la différence d’un véhicule terrestre, nos bacs n’ont pas vocation à aller rejoindre une station d’avitaillement à la fin de service. Ils sont conçus pour faire une navigation d’une rive à une autre et restent stationnés sur leur lieu d’exploitation ».

« Sur le plan technique, l'étude a permis de faire ressortir que, par rapport au gasoil, la bascule au bioGNV permettait de générer un gain de plus de 95 % sur les émissions de CO2, soit 3000 tonnes de CO2 économisés chaque année pour l’ensemble de la flotte » chiffre notre interviewé. « Même chose sur les oxydes d’azote où l’utilisation du bioGNV permet une économie de 24 tonnes par an. Le biométhane nous a aussi séduit car il s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire et qu’il promeut l’emploi local. En Normandie, nous avons une vingtaine de méthanisateurs en service et 70 en projets » poursuit-il.

Le rétrofit pour première étape

Si la solution biométhane vise à équiper les trois futurs bacs, la technologie sera dans un premier temps testée sur un bateau existant. « Quand on assure un service public comme celui des bacs de Seine, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Autrement dit, le choix d’une technologie innovante ne doit pas aller à l’encontre de la fiabilité du service.  Dans le cas contraire, ce sont les usagers qui seraient pénalisés. Pour maitriser ce risque, le choix a été fait d’expérimenter la solution gaz en rétrofitant un bac existant » justifie Eric PETRE.

Menée pour une durée de six mois, l’expérimentation consistera à rétrofiter le Bac 20, un petit bac fluvial qui assurera la traversée entre Petit-Couronne et Val-de-la-Haye, sur le territoire de la Métropole Rouen-Normandie. Celle-ci doit permettre de valider la pertinence technique de la solution avant d’engager l’étape suivante : celle de la construction de bacs neufs alimentés au biométhane.

« Pour ce projet de rétrofit, nous avons sollicité un cabinet d’études en architecture navale qui nous a produit les premières esquisses » détaille Eric PETRE. « Les moteurs gaz seront situés en lieu et place des moteurs diesel. Pour le stockage du gaz, la solution retenue est de positionner les bouteilles au-dessus du pont pour être conforme avec la réglementation. Cela limite aussi le risque d’accrochage avec les voitures et préserve les capacités de chargement. Pour le Bac 20, nous embarquerons 4 bouteilles gaz de 800 litres » complète-t-il.

Sur le plan financier, le Département évalue le coût de ce rétrofit à 1.2 million d’euros en comptant les études et les travaux ! « Sur la partie études, nous avons déjà obtenu une subvention de 150 000 euros de la part de VNF au titre du PAMI (Plan d’Aides à la Modernisation et à l’Innovation ndlr). Toujours dans le cadre du PAMI, nous tablons aussi sur une aide au titre des travaux. Le dossier sera déposé au moment où nous aurons suffisamment avancé dans nos études »
 

Des études réalisées par 2C-Consulting

Pour le compte de GRDF et du Département, 2C-Consulting a réalisé les études techniques amont permettant dans un premier temps de sélectionner l'énergie la plus adaptée à l'exploitation des bacs de Seine avant d'engager des études techniques plus précises concernant les architectures de propulsion possibles  (hybride ou conventionnelle), le choix des motorisations GNV, le dimensionnement et l'implantation des stockages de GNC ( Gaz Naturel Comprimé), l'analyse des besoins en avitaillement ainsi que les questions de gains en émissions de polluants locaux et CO2.

A cela s'ajoutent la définition du planning, le chiffrage budgétaire et des travaux concernant les contraintes réglementaires.

Vers des stations mutualisées

Au-delà du rétrofit du bac en lui-même, l’expérimentation consistera également à tester l’infrastructure de ravitaillement. « Pour le bac 20, le réseau de gaz est à proximité immédiate du ponton auquel le bac est amarré. Il s’agira d’une station de 80 nm3 qui sera implantée en bord à quai » détaille Eric PETRE qui imagine un usage mutualisé avec d’autres acteurs du territoire. « Nous ne souhaitons pas forcément que nos futures stations nous soient dédiées et ne permettent pas à d’autres d’en bénéficier. Bien au contraire.  La seule exigence du Département est d’avoir un avitaillement disponible durant la nuit. Libre ensuite à l’opérateur désigné d’envisager une station plus conséquente, par exemple pour des charges rapides en journée ».

Pas avant 2025

A quel horizon l’expérimentation pourra-t-elle débuter ? « Nous travaillons dans l’optique de lancer l’expérimentation courant 2025. Le planning initial était extrêmement ambitieux et nous avons pris un peu de retard au démarrage » reconnait Eric PETRE qui met également en exergue certaines contraintes réglementaires. « D’après les échanges que nous avons eu récemment avec les services de l’Etat, il conviendra d’obtenir une dérogation pour exploiter le Bac 20 au BioGNV, le gaz n’étant pas autorisé par la réglementation du fluvial. Celle-ci ne sera délivrée qu’après avoir démontré que l’exploitation en version gaz pourra être assurée en toute sécurité. Tout cela va prendre du temps et va nécessiter la production d’une étude d’analyse de risques établie pas une société agrée ».

A cela s’ajoutent les différents marchés que le Département devra lancer pour engager le projet. « Nous préparons actuellement un premier appel d’offres pour recruter deux assistants à maîtrise d’ouvrage : le premier afin de nous accompagner sur la partie études et travaux pour le rétrofit du bac 20 et le second pour assurer les études et le suivi de la construction de la station d’avitaillement ».

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